Pensées citations et vermicelles.

Les glaneuses de Jean-François Millet
Les glaneuses de Jean-François Millet

Au cours de nos lectures,

au cours de nos errances,

nous avons glané et serré contre nous des phrases, des "pensées", des bribes de sens, des riens, presque.

De Peter Brook, cette lettre...

Lettre au public

     Mesdames et messieurs, cher public,

 

 

     Chaque jour, dans ce lieu étrange - un théâtre - des hommes et des femmes s'assemblent autour d'un espace vide. Ils cherchent à y découvrir la vie dans ce qu'elle a de plus intense.
     Quelle que soit la forme utilisée : la parole, la danse, le chant... vous savez combien, si la rencontre s'opère, chacun peut en tirer de plaisirs et d'enseignements. Certains d'entre vous ont peut-être fait l'expérience du jeu de l'acteur, du geste du danseur. Ils savent alors combien cette activité peut enrichir et grandir celui qui la pratique.
     Mais à l'instant précis où je vous parle, combien sont-ils, hors de ce théâtre, qui n'entreront jamais? Combien sont-ils qui n'osent pas franchir le seuil de cette maison? Combien sont-ils à ignorer l'existence même de ce phénomène que, partout dans le monde, depuis l'aube des temps, on nomme "le théâtre"?
     Ce sont peut-être vos voisins, vos amis, vos parents, vos élèves, vos propres enfants même... Or, le théâtre est fait pour eux, aussi. Plus encore, le théâtre a besoin d'eux. Un théâtre qui oublie de s'adresser à la jeunesse est un théâtre moribond.
     Cette semaine, dans de très nombreux théâtres, partout en France, se déroule un projet intitulé "Levers de rideaux" avec des jeunes des écoles, des collèges, des lycées ou des universités. Je voudrais, à cette occasion, tendre la main à tous ces jeunes.
     Qu'on l'aborde par le jeu ou par le regard, le spectacle vivant dans sa dimension la plus exigeante et dans la diversité infinie de ses formes, est pour moi un élément fondamental de l'éducation. Car si "le théâtre c'est la vie", alors l'apprentissage du théâtre peut devenir l'apprentissage de la vie!
     Que ces "Levers de rideaux" soient une fête. Un espoir.
     Je vous souhaite une très belle soirée.

Peter Brook

Arts et artistes à l'école : Intervention de Philippe Meirieu

" Ainsi rien ne peut remplacer cette expérience fondatrice d’un petit d’homme qui monte sur une scène. Il lève la main. Fait un signe. Tous ses muscles se tendent et lui font mal. Toute son intentionnalité passe dans un salut.
Il sort de la gesticulation et fait, enfin, un geste. Un vrai. Il ne vit plus dans un agrégat informe où les êtres se bousculent sans se regarder ; il entre dans un  espace symbolique où chacun peut occuper une place sans prendre toute la place… Expérience essentielle de la salle obscure qui permet de sortir des limbes de l’imaginaire médiatique du lunapark planétaire sous vidéosurveillance permanente que constitue l’assomption du Loft. Expérience qui ne requiert aucun préalable, mais qui est toujours une occasion précieuse – infiniment précieuse – d’accéder à l’humain en l’homme. D’accéder à une société où il fait bon apprendre. Où l’on ne fait pas pousser les fleurs en tirant sur les tiges. Mais où l’on tente de donner à chacun le courage de grandir. Où chacun a droit à ce que les hommes ont réalisé de plus abouti pour dire leur « humaine condition ».

Arts et artistes à l’École

Théâtre du Rond Point - Mercredi 15 décembre 2004

Intervention de Philippe Meirieu

Dix notes vagabondes sur l'abnégation de l'acteur par Enzo Cormann

"En tant qu'assemblée régie par ce pacte, le théâtre n'est pas tant mise en scène d'un spectacle que mise en oeuvre d'une quête, voire d'une enquête, collective. Il s'impose comme dispositif singulier, lieu d'un regard différent, clinique, dissecteur, produit par la distance même que ce mode archaïque de représentation met entre le réel et l'assistance. "Le théâtre, écrit Jean-Pierre Sarrazac, est un lieu déterritorialisé, un peu utopique où l'on peut voir ce qui dans la vie passe inaperçu, où l'on peut voir le spectre de la vie plutôt que la vie elle-même, où l'on peut voir, grace à l'accentuation, à la dilatation, à la formalisation qu'apporte un rituel, à la fois la vie et son spectre. Une sorte de dévoilement initiatique ? De ralentissement du cours de la vie en tout cas. Comme si on avait accès, par le théâtre, à une autre perception des choses." Le comédien serait donc le passeur de cette autre perception, tout au moins celle-ci passerait par lui. Plus que d'incarner, donner corps, il s'agirait donc de donner voix, voie, et à voir. L'acteur de la représentation est  conducteur (comme on le dit du fil de cuivre en électricité). Mouvement d'électrons (d'affects, de sens, etc) et connecté — mis sous tension."

 

CETTE INCOMPRÉHENSIBLE DISTRACTION DE SOI D'AVEC SOI
dix notes vagabondes sur l'abnégation de l'acteur

Enzo Cormann

Leçon inaugurale prononcée par Olivier Py

le 4 décembre 2009 au TNP de Villeurbanne à l'occasion du séminaire national

« ENSEIGNER LE THEATRE AU COLLEGE ET AU LYCEE AUJOURD’HUI »

Télécharger
La parole comme présence à soi et au monde
Leçon inaugurale Py09- def.pdf
Document Adobe Acrobat 61.8 KB

JE ME DIS EN SECRET MAIS TRÈS FORT

Édito La rose des vents / saison 2003/2004

Je me dis en secret mais très fort.
Je me dis : je n’aime pas le pouvoir et le pouvoir me le rend bien. Je me dis : ne fais pas du théâtre pour les gens qui aiment le pouvoir, pour les gens qui pratiquent le pouvoir, même si tu dépends d’eux, ou plutôt même si ton théâtre, comme tous les théâtres, dépend d’eux. Résiste à la tentation d’être sur le même terrain que le roi. Sois ailleurs, là où le roi ne va jamais se pencher, par peur de lui-même. Ce qui fait qu’il est roi.
N’endors pas ton théâtre sous prétexte qu’un théâtre endormi siège royalement dans nos théâtres républicains, sa somnolence artistique bien planquée par les bons sentiments politiques. Je me dis : ne ronronne pas, éructe, ne ronronne pas, chuchote.
Méfie-toi des applaudissements. Aime-les comme une surprise, un inattendu. Les applaudissements ne sont pas un projet, ils ne font pas œuvre. Ils font seulement à l’œuvre un très joli décolleté plongeant.
Si tu veux travailler pour le public, oublie le public. Fais-le disparaître de ta pensée, de ton amour, de ta détestation. Si tu veux faire apparaître le public, fais-le disparaître en toi. Méfie-toi de vouloir lui plaire. Cherches-tu à te plaire à toi-même en répétition ? Non, non tu cherches à être à l’œuvre.
Cherche l’œuvre non le public.
Méfie-toi de ta pensée politique. Si tu veux du politique pour les spectateurs oublie le politique sur ton plateau, cherche à l’oublier, ta pensée politique. Elle n’intéresse personne, personne. Le plateau n’appartient pas à ta pensée. Est-ce que la toile du peintre appartient à la pensée du peintre ou à l’œil du spectateur ? Le plateau n’est pas ton café du commerce où tu vendrais tes idées. Est-ce que Léonard a eu une bonne idée en peignant Mona Lisa ? Lautréamont en écrivant Maldoror ? etc... etc...
Cherche les langages du plateau, de toutes sortes, mais trouve des langues scéniques justes pour les textes qu’elles portent. Mets l’acteur avant le texte, mets le texte avant l’acteur. Seulement en contre-poussant ces deux feux, textes et acteurs, ils apparaîtront aux spectateurs, s’ouvriront pour lui, se glisseront en lui pour le saisir au cœur, à la gorge, au ventre, au sexe, à la langue, en riant. Pour le saisir à d’autres endroits de lui, que lui et nous ignorons totalement.
Cherche la langue juste pour Eschyle, la langue juste pour Feydeau. Comment faire comprendre que tragique et grotesque se côtoient, que Feydeau et Racine c’est pareil, qu’il s’agit pareillement de destins irrémédiables exprimés par une langue irrémédiable. Mécanique du vers alexandrin contre mécanique de l’effet grotesque. Dans laquelle des deux machines s’agite et se débat le plus profond de nous ? Bien malin qui a la réponse. Un homme de pouvoir peut-être.
Comment faire comprendre que le théâtre ne doit pas être sérieux. Ne dit-on pas sérieux comme un pape. Il doit être terrible le théâtre, parfois, effroyable si on veut, mais sérieux jamais. La mesure du théâtre ce n’est pas la mesure, la belle pensée mesurée française, formatée française. La mesure du théâtre c’est l’excès mis en mesure, l’éclat mis en forme, le chaos mis en orbite, le noir mis en lumière, le sang mis en rouge, le rire qui explose.

Jean-Michel Rabeux